publicité
Société

La cravate n’a plus la cote

Katja Baud-Lavigne, Journaliste - lun. 01/01/2024 - 13:35
Symbole de politesse par excellence pendant des siècles, la cravate ne séduit plus grand monde aujourd'hui, mais elle reste incontournable dans certains milieux.
Philippe Revaz, journaliste présentateur du  19:30 de la RTS
Philippe Revaz, journaliste présentateur du 19:30 de la RTS avoue n'avoir jamais porté de cravate avant de présenter le Téléjournal. © Philippe Christin / RTS

«Certains portent des cravates depuis 40 ans et n’en sont pas moins des loosers!» Christophe Laurent, Ambassadeur des Valeurs de l’EHL Hospitality Business School (ancienne Ecole hôtelière de Lausanne), ne mâche pas ses mots. Ayant contribué à la mise en place de la grande réforme vestimentaire de 2021, qui a vu notamment l’abandon de la cravate obligatoire au sein de son institution, l’homme connaît son sujet. C’est pourtant cravaté qu’il se présente à l’interview. «Par habitude, avoue-t-il. Voilà 45 ans que j’en mets. Je viens d’une famille où on en porte et pour moi, c’est naturel. Mais ce qui compte, ce sont les personnes et l’attitude, pas les symboles.» 

Autrefois synonyme de pouvoir et d’élégance, la cravate souffre aujourd’hui d’un désamour notable. De trois millions d’exemplaires achetés en France en 2012, les ventes sont tombées à 1,42 million en 2019 (statistiques Kantar). De plus en plus délaissé par les hommes, l’accessoire réapparaît… chez les femmes! Cette année, les défilés automne-hiver lui ont fait la part belle, loin des stéréotypes masculins. Une évolution nécessaire, selon Christophe Laurent: «Sur l’un des derniers dépliants d’une des chaînes hôtelières les plus réputées, vingt-neuf personnes apparaissent en situation professionnelle. Pas une seule ne porte de cravate. Le monde change, il était temps que l’on évolue avec lui.»

publicité

Si on peut désormais fréquenter l’EHL vêtu d’une chemise bariolée, il reste néanmoins quelques codes à respecter. «Seul le premier bouton du vêtement peut rester ouvert, prévient Christophe Laurent. On n’est pas aux Voiles de Saint-Tropez non plus!» Un point qui semble clair puisque les étudiants et le personnel concernés ne profitent que modérément de la nouvelle liberté qui leur est offerte. «Presque 75% des gens ont gardé une apparence sérieuse, relève l’Ambassadeur des Valeurs. Ils mettent des cravates, font attention à la longueur des jupes, se comportent de façon professionnelle. C’est une énorme valeur ajoutée et ils le savent.»

Du côté de la RTS, les codes vestimentaires se sont également assouplis au fil des ans. Reste un bastion intouchable: le 19.30. «Il s’agit d’un rendez-vous important, qui représente quelque chose de sérieux, rappelle Chantal Dépraz, référente styliste de la télévision. On garde la cravate par respect de l’information et du téléspectateur.»

Quelques exceptions

Un principe qui peut toutefois bénéficier de quelques exceptions. «Nous tenons évidemment compte de la morphologie de l’intervenant, admet la styliste. Aux élections, par exemple, le journaliste David Berger portait une cravate. C’est normal, il tenait un rôle principal. Mais son collègue a été dispensé. On peut aussi estimer que si une personne ne sent pas bien avec une cravate ou que physiquement, ça coince, on ne va pas insister. C’est important que la personne se sente à l’aise.»

Quant à la possibilité de voir la cravate apparaître au cou des femmes à l’écran, il reste un cap à franchir. «On n’en a jamais parlé, reconnaît Chantal Dépraz. Il faudrait voir si quelqu’un a envie de se lancer. Dans le choix des vêtements, il faut tenir compte du contenu de l’émission, de la personnalité, du physique, du décor, de la lumière, et de bien d’autres paramètres. C’est moins anodin qu’il n’y paraît.»

Débit sanguin diminué

Offrir une cravate à un homme serait-il le meilleur moyen de s’en débarrasser discrètement? Peut-être. Les neurologues de l’hôpital universitaire du Schleswig-Holstein, en Allemagne, ont conduit une étude pour évaluer ses effets sur le cerveau. Un panel de 30 jeunes hommes a donc été réuni et divisé en deux groupes: les «cravatés» et les «non cravatés». Les premiers ont reçu pour consigne de nouer l’accessoire au moyen d’un nœud Windsor — le plus imposant — et de le serrer jusqu’à ressentir un «léger inconfort». Chaque participant a ensuite été soumis à un examen d’imagerie par résonance magnétique. Selon les résultats publiés dans la revue Neuroradiology, il apparaît que, dès qu’elle est nouée, la cravate entraîne une diminution de 7,5% en moyenne du débit sanguin dans les vaisseaux du cerveau. Chez 5 hommes cravatés sur les 15, elle a même atteint 10%. Les scientifiques précisent qu’il s’agit d’une variation acceptable sur le plan clinique, qui n’affecte pas l’activité neuronale. Ils suggèrent néanmoins que le port de la cravate pourrait être plus risqué chez les gros fumeurs, les sujets souffrant de maladies vasculaires ou les personnes plus âgées, puisque la restriction du flux sanguin vers un organe entraîne la réduction de l’apport en oxygène et de fait, l’altération des capacités cognitives.

Source: «Should you stop wearing neckties? - wearing a tight necktie reduces cerebral bloodflow», in Neuroradiology, vol.60, août 2018.

Une mode venue de Croatie

Même si des sources historiques indiquent son existence dès l’Antiquité dans plusieurs régions du monde — notamment en Chine et chez les légionnaires romains — il est d’usage de dater la naissance de la cravate au terme de la Guerre de trente ans (1618-1648). Les meilleurs soldats qui se battaient pour le roi de France étaient alors des cavaliers croates, qui portaient autour du cou des foulards de soie bariolés. A l’armistice, ils furent présentés à Louis XIV en tant que héros. Le Roi, toujours vêtu à la dernière mode, fut aussitôt conquis par leur style.

L’accessoire — baptisé «cravat», par dérivation du mot «croate» — est alors difficile à nouer et ressemble à un gros nœud papillon mou. Il s’impose toutefois rapidement chez les aristocrates de toute l’Europe. Malgré le fait qu’elle fasse débat durant la Révolution, la cravate devient un véritable symbole de raffinement en France, mais également en Angleterre, où sa version moderne fut introduite à la fin du XIXe siècle. Toujours issue du monde de la cavalerie, elle est appelée «four-in-hands», en référence aux rênes avec lesquelles on reliait quatre chevaux entre eux pour permettre à un seul cavalier de les mener lorsqu’ils étaient attelés à son char. Le 30 juin 1922, le cravatier new-yorkais Jesse Langsdorf dépose le brevet de la cravate telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Synonyme d'uniforme”

Philippe Revaz, journaliste présentateur du  19:30 de la RTS
Philippe Revaz
Présentateur du 19.30 de la RTS

«Je n’ai jamais porté de cravate avant de présenter le TJ, donc pour moi, c’est vraiment synonyme d’uniforme. A tel point que j’ai même mis du temps à apprendre à la nouer. J’avais une petite feuille qui m’expliquait comment faire, je la lisais à l’envers, c’était vraiment pathétique. Aujourd’hui, je m’y suis habitué et je l’ai même prise en affection, mais si elle venait à disparaître, elle ne me manquerait pas. D’ailleurs, les quelques fois où j’effectue des remplacements au 12.45, je n’en porte pas et je ne parierais pas que dans cinq ans, elle soit toujours présente au 19.30. En même temps, je ne peux m’empêcher de penser que dans ce monde en perpétuel tumulte, la cravate constitue un petit point de stabilité visuelle et que ce n’est peut-être pas si mal. 

Je n’ai pas spécialement de cravate préférée. Il m’est arrivé d’en mettre une ou deux datant des années 70, qui appartenaient à mon papa. Je me suis fait un peu gronder par l’équipe habillement de la RTS et depuis, ils vivent dans la peur que je recommence. Mais dans l’ensemble, je suis plutôt sage. De temps en temps, je m’amuse. C’est rare. Pour être honnête, je n’y attache pas une grande importance.»

J'ai une cravate fétiche”

Le comédien Laurent Deshusses cravate Revue genevoise
Laurent Deshusses
Comédien

«Chez les comédiens, la cravate est quelque chose d’un peu particulier. Ces temps-ci, sur La Revue genevoise, je porte un jabot Style Empire de 1830, qui est pour moi l’ancêtre de la cravate. Personnellement, je trouve ça beaucoup plus beau. Mais, contrairement à Laurent Voulzy, je ne le garderai pas au quotidien.

Quand j’étais jeune, il y avait une symbolique dans la cravate, qui n’est peut-être plus celle de maintenant, mais qui avait son importance. C’était une forme de politesse lorsque l’on se présentait à une cérémonie. Cela voulait aussi dire: «Me voilà homme!» C’est ce que je ressentais quand j’en portais une. J’endossais un rôle, c’était presque quelque chose d’officiel. Aujourd’hui, en dehors de la scène, je n’en mets jamais.

Mais il existe une cravate fétiche, écossaise, que j’ai portée pour mon premier spectacle et que je trouvais assez élégante. Je la conserve précieusement, sans vraiment la remettre, sauf une fois, il n’y a pas si longtemps. Grâce à votre téléphone, je risque de la porter à nouveau. Pourquoi pas pour la Nouvelle Année. Ça peut être amusant!»

En lecture
La cravate n’a plus la cote
publicité