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Société

Martin Vetterli: la mort et moi

Anna Lietti, Journaliste - mer. 01/05/2024 - 15:29
Après une enfance à Neuchâtel, l'ingénieur Martin Vetterli, aujourd'hui âgé de 66 ans, a suivi un parcours académique prestigieux en Suisse et aux États-Unis. Depuis 2012, il préside l’École polytechnique fédérale de Lausanne, fonction qu’il quittera l’an prochain.
EPFL la mort et moi
Portrait de Martin Vetterli, président de l'EPFL. © Nicolas Zentner

Quelle a été votre première confrontation avec la mort?
J’avais 6 ans quand ma grand-mère est morte d’un cancer du poumon. Nous l’avons vue décliner inéluctablement et le spectacle de cette dégradation m’a marqué. Tout comme le fait qu’au temple, le cercueil était ouvert, le corps exposé. Dans le canton de Zurich, d’où ma famille est originaire, c’était une pratique courante. Pour un enfant de cet âge, c’était dur. 

Il ne faudrait pas montrer les morts aux enfants?
Je ne sais pas, peut-être que c’est bien. Après tout, s’il y a une réalité que nous devons apprendre à affronter, c’est bien celle-là: «Tu es poussière et tu redeviendras poussière.» Comme on dit en anglais: The fish has to be on the table (NDLR, Le poisson doit être sur la table).

Pensez-vous à votre mort?
Je ne m’amuse pas à jouer avec les probabilités pour me demander quand et comment ça m’arrivera. Mais, clairement, il y a pour moi une question fondamentale: comment conclure? Comment boucler la boucle? C’est le grand défi de l’âge. Certains préfèrent être dans le déni et continuer à courir comme si de rien n’était. Je suis plutôt de ceux qui prennent la question au sérieux. J’aimerais me préparer à franchir cette étape de manière sereine. La vie, c’est comme un livre: il faut une bonne conclusion.

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La vie, c’est comme un livre: il faut une bonne conclusion”

Martin Vetterli

Comment vous préparez-vous?
Pour l’instant, je n’ai pas le temps… L’an prochain, j’en aurai plus : je reste prof à l’EPFL, mais je quitte la présidence. Pendant ma carrière académique, j’ai accompagné 76 chercheuses et chercheurs vers leur thèse de doctorat et j’aimerais rendre visite à chacun d’eux, où qu’ils soient dans le monde. L’autre jour, nous étions à Paris avec mon épouse et nous sommes allés rendre visite à l’un de mes brillants thésards, qui est devenu prêtre près de la gare de l’Est. D’une certaine manière, il m’a pris au mot, puisque j’ai toujours dit à mes étudiants : « Faire une thèse, c’est comme entrer dans les ordres, préparez-vous…»

Quel était le champ de recherche de cet homme?
Des maths appliquées, le théorème d’incertitude... Il a peut-être trouvé la résolution du théorème au cours de ses études de théologie ! Moi-même, après ma tournée des thésards, je me verrais bien entreprendre des études de philosophie à l’Université de Lausanne. 

Vous arrive-t-il d’imaginer vos obsèques?
Non. Les obsèques, c’est pour les autres, par pour celui qui meurt. Les sociétés mettent en place des rituels pour nous aider à prendre congé de nos défunts; je respecte ces conventions sans y regarder de trop près. Même si cette manière que nous avons d’aller boire des verres après la cérémonie, cela avait choqué l’enfant que j’étais à la mort de ma grand-mère.  

Où serez-vous quand vous ne serez plus là?
Question abyssale, à laquelle je n’ai pas de réponse. En tant qu’être rationnel, je peux bien retourner la question de savoir s’il y a autre chose au-delà de la mort, je n’ai ni preuve ni contre-preuve de rien… Mais, en fait, la question n’est intéressante qu’à condition de dépasser sa petite personne. Qu’est-ce qui doit me survivre, tendre vers l’éternité? Une civilisation humaine qui va vers le mieux, pas moi comme individu. Ne soyons pas trop égocentrés. 

Quelles traces aimeriez-vous laisser?
Si on peut s’en aller en se disant qu’on a laissé une petite brique d’amélioration dans la construction humaine… Pour ça, l’enseignement, c’est magnifique. Aider quelqu’un à réaliser son potentiel, c’est ce que j’ai préféré faire et peut-être ce que j’ai fait le mieux.

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