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Loisirs

Quand la Suisse skiait populaire

Nicolas Verdan, Journaliste - sam. 01/02/2025 - 15:08
La multiplication des hivers doux freine le ski version «Les Bronzés». La neige, trop souvent transformée en pluie sur les stations de basse et moyenne altitude, douche l’enthousiasme des classes moyennes pour ce sport de glisse.
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L'époque où toutes les classes de Suisse ou presque partait une semaine par année en camp de ski est quasi révolue. © Ecole Suisse de Ski de Villars

«Comment? Tu ne skies pas?» Longtemps, le ski s’est confondu avec l’identité nationale suisse: «C’est d’la dynamite!» Eh oui, en ce temps-là, toutes et tous sur les lattes, un bonnet CS/KS sur les oreilles, à crier des hourras devant la télé du bistrot sur les pistes après le doublé de Pirmin Zurbriggen et Michela Figini. Une photographie qui jaunit sur la commode en sapin du chalet. Oui, car le déclin du ski, à portée de toutes et tous, est amorcé. Longtemps populaire, ce sport est de moins en moins accessible aux classes moyennes, voire hors de portée des revenus modestes. 

Le réchauffement climatique confère en effet à ce sport un statut de plus en plus exclusif. Les faits sont là: en basse et moyenne altitude, la neige se transforme le plus souvent en pluie. Conséquence: de petites stations, avec des forfaits avantageux, joignables rapidement et à moindres frais depuis les centres urbains, sont en sursis.

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Aujourd’hui, sur les 22'500 hectares de pistes que compte la Suisse, 54% des domaines skiables ont déjà recours au canon. Sur 250 domaines skiables, 109 atteignent une altitude maximale de 1500 mètres. Vu qu’on s’attend à une élévation de l’isotherme du zéro de 300 mètres au cours des 25 à 30 prochaines années, ils sont donc menacés. Parmi ceux-ci, 25 ne dépassent même pas la limite des 1000 mètres d’altitude. D’ores et déjà, bon nombre de petits téléskis abordables ont fondu comme neige au soleil depuis le début du siècle. 

L’or blanc n’a toutefois pas perdu son pouvoir d'attraction et l’industrie du ski est loin d’être moribonde. Les statistiques de Suisse Tourisme en témoignent, les bouchons du week-end sur l’A9 en direction et de retour du Valais aussi: la tendance est positive. Rien que pour la saison passée (2023-2024), la fréquentation dans l’ensemble des stations de ski en Suisse était en hausse de 4%. Alors, de quoi se désole-t-on? Qu’on ne s’y trompe pas, la soupe à la grimace est bel et bien au menu de l’assiette du skieur. En y regardant de près, d’une région à l’autre, les disparités de fréquentation sont glaçantes: -21% pour l’Arc jurassien ou -31% pour les Alpes fribourgeoises.

Toujours plus haut et plus cher

Le constat est sans appel. En Suisse, il faut désormais monter toujours plus haut pour skier dans des conditions optimales. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. Malgré les efforts et l’inventivité des grands domaines pour proposer des forfaits, la journée de ski et l’hébergement en station représentent un frein. Une semaine de ski coûte parfois plus cher qu’un voyage sous les tropiques, tout inclus.

En y regardant de plus près, la RTS a constaté une ascension vertigineuse du prix du forfait de ski. Elle a calculé l’augmentation du coût moyen d’une journée pour un adulte dans les stations suisses. En 2005, le prix pour accéder à un domaine skiable était ainsi de 51 francs, contre 72 francs en 2024, soit une augmentation de 41%.

Pour davantage de Suissesses et de Suisses, donc, le ski représente aujourd’hui un luxe. On s’éloigne ainsi de cet engouement populaire pour ce sport, amorcé dans les années 1960, culminant des années 1980 au début des années 2000. En famille, à l’école, le ski est alors une activité incontournable. L’hiver venu, à l’heure d’essayer des nouvelles chaussures, on faisait la queue dans les magasins de sport, quand ce n’était pas au rayon sport des supermarchés. Le choix de la marque de lattes, les progrès des fixations… causer ski était dans l’ordre des choses. Cette activité était visible partout. On apercevait largement les skis dans les trains, sur les toits des voitures, l’espace d’une journée aller-retour à Charmey (FR), aux Pléiades (VD), à la Robella (NE) ou aux Breuleux (JU).

Les stations de haute altitude triomphent

Dans ce paysage en mutation, il y a des gagnants de l’absence de neige en basse altitude. Les villages et stations touristiques de haute montagne. Les domaines skiables à plus de 1500 mètres récupèrent une partie de la clientèle des domaines qui périclitent dans les Préalpes et dans le Jura. Les grandes stations valaisannes se portent bien, merci pour elles. Mais jusqu’à quand? Désormais, toujours plus de gens parviennent à l’âge de 30 ou 40 ans sans avoir jamais mis les pieds sur des skis. Impensable il y a quatre décennies. Et ce n’est pas seulement la faute au réchauffement. 

La culture du ski ne se transmet plus aussi largement qu’avant. Les familles issues de l’immigration sont peu concernées par le ski. Les collectivités, qui participaient aux déplacements scolaires, ont aujourd’hui moins de moyens pour financer des classes de neige. 

Raréfaction de la neige, budget, culture qui change, le ski en Suisse cherche ses marques. Dans ce contexte mouvant, des voix écologistes vont jusqu’à s’interroger: «Et si on remisait ses lattes une fois pour toutes?» Les défis environnementaux sont là. Les responsables du tourisme et les stations en sont conscients. De nouvelles pistes de réflexion sont déjà balisées pour réduire l’empreinte carbone du ski: téléphériques directs depuis la plaine, production d’électricité avec les canons à neige… Quoi qu’il en soit, on attend la neige. Comme chaque hiver.

Le ski en 5 chiffres

  • 250 domaines skiables en Suisse.
  • 21% la baisse de fréquentation pour l'Arc jurassien.
  • -31% de skieurs dans les Alpes fribourgeoises.
  • Le prix moyen du forfait de ski journalier en Suisse a passé de 51 fr. à plus de 72 fr. entre 2006 et 2024.
  • 54% des stations font déjà appel au canon à neige.
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