La madeleine, envers et contre tout
Un quart de siècle après la mort de sa mère dans le camp de concentration de Terezin, en Tchécoslovaquie, Anny Stern reçoit un paquet, qu’elle ne se décidera à ouvrir que de longs mois plus tard. Elle y découvre des lettres, des photos, mais surtout un carnet constitué de pages friables, cousues ensemble et couvertes d’écritures chancelantes. Les recettes des jours heureux.
Strudel à la crème de lait, goulash aux nouilles, beignets de pomme de terre, tresse aux noix, ce Kochbuch, écrit à plusieurs mains et parfois sans ponctuation, a mis 25 ans pour arriver à destination. Comme le soulignent Les carnets de Minna, qui seront publiés des années plus tard, elle et deux de ses codétenues livrent dans ces recettes «leur identité, leur culture, leurs souvenirs, l’amour pour leurs proches, la foi en la vie».
Un credo incommensurable, évidemment, écrit dans des circonstances indicibles.
Mais porteur, pourtant, d’une force absolue et universelle, celle du souvenir et de la résistance: au travers de saveurs perdues, devenues inatteignables mais si présentes dans la mémoire, Minna fait revivre le passé heureux et se ranimer des goûts qui l’aident à garder la vie face à l’anéantissement. Elle mourra en 1944.
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La petite madeleine constitue un trésor, un patrimoine gustatif dans lequel on puise pour résister à l’usure du temps et penser au-delà de sa propre existence”
Sous nos latitudes – et nos latitudes seulement, la guerre battant pavillon, on le sait, partout ailleurs –, les saveurs et la mémoire du goût n’emmènent pas des questions toujours aussi dramatiques dans leur sillage. Mais il est vrai que la petite madeleine, qui dans À la recherche du temps perdu ravive une réminiscence, constitue pour chacun et chacune son petit trésor, son patrimoine gustatif, livre de recettes familiales dans lequel puiser pour résister à l’usure du temps et penser au-delà de sa propre existence.
C’est quoi votre petite madeleine à vous? Des personnalités nous ont répondu: leurs témoignages sont réjouissants et traduisent tous, à leur manière, ce goût d’éternité. En clair, retrouver, au travers de recettes de famille, les goûts d’antan, hérités d’une mère, d’une grand-mère, pour se projeter au-delà et partager avec les siens ces petits moments d’immortalité. Une soupe, une tartelette, un fried bread, des champignons.
C’est sans doute ce qu’ont pu projeter un instant la fille et le petit-fils de Minna, lorsqu’ils ont découvert et retranscrit ces recettes griffonnées, et tenté, peut-être, de se mettre à la cuisine pour faire revivre un instant leur aïeule disparue. Comme nombre de lecteurs et de lectrices depuis…
