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Opinion

Faut-il interdire les commentaires anonymes sur les sites des médias?

Nicolas Verdan, Journaliste - jeu. 01/02/2024 - 13:48
Le conseiller aux Etats Mauro Poggia (MCG/GE) a déposé une motion condamnant l’anonymat sur les sites d’informations. Il propose de priver de subventions les médias qui laissent s’exprimer des auteurs anonymes. Le rédacteur en chef de la Tribune de Genève répond.
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La modération des commentaires sur des sites de médias n'est pas aisée... © iStock

 Le débat de générations du mois de février 2024.

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Le pseudonymat est bien un ennemi réel du débat démocratique qu’il faut combattre”

Mauro Poggia, conseiller aux Etats (MCG/GE).
Mauro Poggia
Conseiller aux Etats (MCG/GE)

N’entamez-vous pas là un combat à la Don Quichotte, vieux comme internet?
Mauro Poggia (POUR): Don Quichotte prenait à tort les moulins pour des ennemis. Or, le pseudonymat, qui équivaut, pour le lecteur, à un anonymat, est bien un ennemi réel du débat démocratique qu’il faut combattre, même si la tâche est difficile. Il suffit d’observer les commentaires postés suite à une publication, pour se convaincre que la quasi-totalité des ceux dont l’auteur ne s’identifie pas, n’apportent aucune plus-value au débat, voire même le détériorent par des propos excessifs, sans nuance ou sans consistance. Pire, ces commentaires anonymes dissuadent les personnes désireuses d’apporter leur contribution au débat de le faire de manière identifiable, par peur d’être submergées à leur tour de commentaires dédaigneux, agressifs ou haineux.

Pour vous, le problème se situe du côté des éditeurs. Vous voudriez priver de subventions tout média acceptant les commentaires anonymes.
Il faut commencer à balayer devant notre porte, ici en Suisse. Si nos médias sont soutenus, même modestement, par de l’argent public, c’est parce que la collectivité estime que le débat d’opinions, par opposition au discours unique, est fondamental en démocratie. Il faut cependant qu’il y ait débat et non échange de propos méprisants et de banalités. Si les éditeurs et hébergeurs de forums de discussion autorisent l’anonymat des commentaires, ce n’est évidemment pas pour améliorer la qualité du débat, puisque le contraire est constaté, mais pour tirer économiquement profit d’une abondance de lecteurs, qu’ils soient abonnés ou source d’attrait pour les annonceurs publicitaires. Il leur appartient donc non seulement de procéder à une modération des commentaires avant leur publication, sous peine d’en répondre aux côtés du commentateur en cas de propos pénalement relevants, mais aussi d’exiger que le nom et prénom de celui-ci soit indiqué. 

Fermer les commentaires, ce ne serait pas la seule solution efficace?
Il ne s’agit pas de censurer les commentaires, mais de revenir au principe de base qui veut que la liberté d’expression a pour corollaire indissociable la responsabilité individuelle.

Pas question de laisser le monopole de la parole aux journalistes”

Frédéric Julliard, rédacteur en chef de la Tribune de Genève.
Frédéric Julliard
Rédacteur en chef de la Tribune de Genève

Mauro Poggia cible les éditeurs coupables selon lui de ne pas en faire assez pour empêcher les contenus haineux dans les commentaires en ligne. Il a raison?
Frédéric Julliard (CONTRE): Mauro Poggia a raison de soulever le problème. Mais pointer les éditeurs ne fait pas vraiment avancer le débat: c’est évacuer un peu vite la responsabilité individuelle des auteurs de ces commentaires et négliger les efforts faits par les éditeurs pour y remédier. Tamedia reçoit des centaines de milliers de commentaires par an. Des filtres informatiques, puis un contrôle humain évitent la grande majorité des dérapages. Nous menons des réflexions constantes pour améliorer le système, tout en respectant la liberté d’expression de nos lectrices et lecteurs.

L’avalanche de propos haineux, sous pseudonymes, que lui vaut sa proposition, lui donne-t-elle raison au moins sur le fond?
Nous n’avons pas constaté l’«avalanche de propos haineux» que vous évoquez. Qu’il y ait des dérapages, c’est évident et regrettable et il n’est pas question de ne rien faire contre cela. Le débat consiste plutôt à savoir si l’Etat doit s’immiscer dans la gestion des commentaires des éditeurs privés. Et là, on aborde un terrain très délicat: à partir de quand les politiciens définiront-ils comme «haineux» les commentaires qui leur déplaisent? Dans une démocratie libérale comme la Suisse, les privés doivent être capables de proposer des solutions. Si la loi est violée, la justice peut être saisie. A ce jour, nous n’enregistrons aucune procédure judiciaire pour un commentaire illégal.

La Tribune de Genève a-t-elle songé à fermer ses commentaires, comme le fait Le Temps, par exemple?
Ce n’est pas notre conception de l’échange avec nos lecteurs: pour la Tribune de Genève, il n’est pas question de laisser le monopole de la parole aux journalistes. Cela nous ferait économiser les frais de modération et nous simplifierait la vie, probablement. Mais nous préférons prendre le risque de donner la parole à notre public.

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